Quand j'étais petite, il y a eu une période où j'avais très peur des fantômes et des esprits. Le soir, sous ma couette, je me forçais à répéter "je crois aux fantômes, je crois aux esprits, je crois aux fantômes..." parce que je me disais que si je soutenais que je ne croyais pas en eux pour me rassurer, alors le risque qu'ils viennent me visiter pour me prouver leur existence serait décuplé... C'était un raisonnement un peu tiré par les cheveux, je l'avoue.
Aujourd'hui je suis une grande fille, je n'ai plus peur des revenants (encore que, le soir seule dans la maison...), mais je me débats depuis un moment avec des questions qui me renvoient à ces angoisses irrationnelles... Quand on espère un bébé, tout le monde n'a de cesse de vous dire qu'il ne faut pas y penser, qu'il ne faut pas en faire une obsession puisque cela risquerait de bloquer le corps dans ce processus complexe.
Ma gynéco y est allée de son petit couplet il y a plusieurs mois déjà, elle m'avait à l'époque conseillé d'acheter une maison pour me décentrer de ce désir d'enfant. Avec des travaux, si possible. Nous nous sommes donc exécutés avec conviction, avons vécu le stress du déménagement, de l'emménagement, la totalité des pièces à restaurer, la poussière, les cartons. Et rien.
La semaine dernière, c'est mon médecin de famille qui a remis ça, et m'a expliqué qu'il me fallait absolument penser à autre chose, ne pas mettre tous ces espoirs dans la procédure dans laquelle nous nous sommes engagés, sous peine de bloquer un truc dans mon hypophyse dont tout le reste dépend.
Moi j'écoute, j'écoute patiemment tous ces gens me dire ce qu'il faut que je ressente, ce qu'il ne faut pas que je ressente, et j'entends, je comprends ce qu'ils me disent, je comprends leur raisonnement. Je leur dis "oui docteur bien sûr docteur, je vais essayer docteur, c'est pas facile vous savez docteur, mais je sais que vous avez sans doute raison docteur". Et au fond de moi, j'ai envie de crier, de hurler. Parce que je n'ai aucune idée de comment faire pour ne plus y penser. Parce qu'il n'y a pas un jour sans qu'un mot, un évènement ne me rappelle ce désir qui m'habite. Parce que la piqûre et les examens qui vont être mon lot quotidien pendant quelques temps me laissent difficilement le loisir de lâcher prise. Parce que quand je pense "ne pas y penser" j'y pense quand même alors je me dis "pense à penser que tu n'y penses pas" et j'ai envie de pleurer parce que je me revois, petite, à me débattre avec mes fantômes.
Quand on espère un bébé, on apprend à écouter le moindre soubresaut de son corps, le moindre micro-changement, et bien sûr, on se méfie, mais surtout, surtout, on espère, tout le temps. Et on y pense. On se dit "il faut que je fasse confiance à mon corps", mais on se dit aussi que ce corps qui ne fait rien comme il devrait est bien décevant. On garde pour soi toutes ces observations, parce qu'on ne va pas abreuver son chéri et ses copines de ses élucubrations, ses "cette fois c'est bon j'en suis sûre je le sens je serais pas un peu fatiguée là j'ai super faim j'ai un peu mal dans les seins je me sens un peu bizarre", on garde pour soi ses pleurs quand on réalise que tout ça c'était juste dans sa tête. On vit sa vie, on rit on pleure on s'amuse on mange on blogue on s'engueule on se réconcilie on est heureux mais dans son coeur, dans son corps, il y a toujours cette petite pensée pour ce bébé qui tarde à venir. Tous les jours.
Alors si quelqu'un a le mode d'emploi pour "ne pas y penser", je le veux bien, parce que moi, je n'ai aucune espèce d'idée de comment on fait ça.